21 - Le retraité de Blindwater

La lumière de ma lampe commence à faiblir. Il va falloir que je me réapprovisionne en huile. Qu’importe je viens de finir l’écriture de mes missives. Comme d’habitude mes doigts sont couverts d’encre et je ne suis guère satisfait de mon trait de plume. Je crois que maintenant je dois m’y résoudre je n’aurai jamais une belle écriture. Enfin c’est lisible et c’est tout ce qui compte.
Je m’étire puis je profite un instant du confort de ma chambre. La cheminée réchauffe doucement la pièce tout en rajoutant un peu de lumière. Ma chaise et mon bureau sont confortables, le lit aussi. J’ai fini par bien m’habituer à « La dame aux cheveux rouges ». C’est ce qui ressemble le plus à un chez moi maintenant.

Mon regard se porte sur Sissipha qui dort sur un des oreillers. Elle à l’air calme et heureuse. J’ai de la chance de l’avoir avec moi elle m’aide à ne pas sombrer dans le désespoir que tous ces événements m’inspirent. D’une certaine façon elle remplace Dalyne et me rappelle au jour le jour de pourquoi je fais tous actes insensés.
J’espère que malgré tout ce que nous traversons elle ne perdra pas son insouciance, sa gentillesse et sa joie de vivre.

Je relis les deux exemplaires de ma lettre pour le Père Oweoddyn.

Bonjour père,

Mes recherches ont avancé. Les différentes pièces se mettent en place. La probité de la personne qui m’a donné les derniers indices est plus qu’incertaine pourtant je pense qu’elle m’a dit la vérité ou tout du moins la partie de la vérité qu’elle trouvait profitable de me révéler. Mes autres recherches et observations concordent avec le témoignage de cette personne.

Nous pensions qu’une personne haute placée usait de son influence pour empêcher à notre entreprise de prospérer en ville. Tout porte à croire que cette personne est celle qui est au plus haut échelon. Qu’Eissa lui fasse payer sa félonie !

Nos dispositions devaient nous rendre indélogeables de la cité mais j’ai la certitude que l’on œuvre pour les faire annuler. Nos rivaux moins scrupuleux en profiteront certainement pour prendre possession de toute l’activité locale. Ce serait vraiment dommageable d’autant qu’il se murmure que du rularon serait en circulation. Songe père à ce que nous pourrions faire comme profit si nous parvenions à mettre la main sur une bonne quantité de ce métal ! Quel dommage que tu ne m’ai pas alloué plus de moyens pour cette expédition.

Pour l’heure je vous laisse père. Je vais aller voir un de ces prêtres de Yarthraak qui s’est installé il y a peu. Il m’a dit qu’il pourrait me soulager de cette veille blessure qui me fait tant souffrir.

Embrassez ma fille et mes amis pour moi. J’espère vous revenir vite.

Amicalement, votre fils dévoué.

Tout semble être en ordre, les éléments importants y sont sous une forme ou sous une autre. Mon interlocuteur est normalement capable d’en comprendre le sens. J’irai remettre des demain matin ces missives à des changramails. J’espère qu’ils les délivreront promptement. Mais j’ai le sentiment que nous allons devoir une nouvelle fois nous débrouiller par nous même. L’enjeu est tellement grand que je n’ai pas le droit à l’erreur. Puisse les seigneurs d’Orhan m’apporter leur aide.

Dire que si nous n’avions pas rencontré le vieux Fibs nous serions toujours dans le brouillard. C’est une chance que Dylane et Nel soient partis à la chasse aux traîtres. Englick et Jacon n’ont eu que ce que la justice leur réservait.
J’ai encore du mal à croire qu’ils étaient des loups-garous. Ils semblaient si normaux ! Quoi qu’il en soit mes amis ont trouvé dans leurs affaires la localisation de leur supposé commanditaire et c’est ce qui nous à conduit à Fibs.
Dans l’opération ils ont aussi ramené une montagne de vins fins et de livres précieux, qui pour la plupart encombrent ma chambre maintenant. Dommage que cela ait coûté un genou à Nel. Rien de définitif toutefois puisque les prêtresses d’Eissa le lui ont réparé.
Ils sont aussi revenus accompagnés de Selendyl, l’elfe ou demi-elfe que nous avions rencontré à Kaitaine. Sa présence m’intrigue et je reste méfiant même si l’individu ne m’a pas donné de raison de le suspecter de quoi que ce soit. Il connait nos vrais noms. Bon ce n’est pas le seul mes compagnons sont incapables de donner le change.
Tant que j’y pense il va falloir que je me renseigne sur ce Rem Tresk qui a fait parvenir avec forte débauche de magie théâtrale une recette de potion de résistance à la lycanthropie. Qui est donc ce bienfaiteur ?

Mes compagnons voulaient absolument retrouver le commanditaire de Englick. Leurs motivations principales étaient la vengeance et le besoin de récupérer ce que les brigands leur avaient dérobé. Je savais que je ne les dissuaderai pas. Je pensais qu’avec un peu de chance nous en apprendrions plus. Nous avons donc décidé de nous rendre dans le repère décrit dans les documents d’Englick, Nolt Nob dans la province de Blindwater.

Une fois que nous avons terminé nos préparatifs nous sommes partis avec Selendyl dont les motivations m’échappent. Il a aussi fallu que je dissuade Erik d’accepter l’aide de ces abjects prêtres de Yaarthrak. Il faut dire qu’ils savent y faire. Ils ont l’air altruistes et bien attentionnés. « Nous allons vous rendre votre main ». Je ne suis même pas sur qu’ils en soient capables. Si en plus le prix à payer et de servir la non-vie… Pour une fois Erik a semblé être sur la même longueur d’onde que moi. J’avoue que j’en suis soulagé.

Notre voyage vers et dans la province de blindwater n’a connu qu’un incident notable. Il aurait pu me coûter la vie ! Au dernier moment j’ai perçu un danger et je me suis jeté au sol. Un trait a fauché l’air la ou je me trouvai un instant plus tôt. Ça a été la panique dans notre expédition et pourtant il n’y avait nulle trace d’un assaillant.
Fiché dans un arbre, le plus gros trait de baliste que je n’ai jamais vu. Entièrement en métal et enfoncé sur une bonne distance dans le bois. Si je n’avais pas plongé j’étais mort. J’ai tout de suite repéré le parchemin enroulé autour du projectile. Je l’ai déroulé. Il m’était destiné. Un certain Thev O’Erlin ni tenait à me signaler que mes ingérences dans ses affaires devaient cesser faute de quoi le prochain projectile se ficherait dans ma tête. Le Erlin du nom m’a tout de suite fait penser à de l’elfique. L’inkulabula a confirmé mes dires.
Thev O’Erlin ni est le diminutif d’un nom ancien. Un nom que l’on prononce Lorgalys en commun…
Nel a étudié l’objet. Il a pu nous dire qu’il venait de loin. Il a aussi pu nous décrire Lorgalys : grand, blond majestueux comme il sied à un seigneur elfe. Des yeux de reptiles et des pierres précieuses incrustées dans le crane c’est plus surprenant ! D’après Nel il portait  pendentif en forme de serpent ou de dragon de mer autour du cou et il avait au flanc une épée de légende, Anguirel, le fer stellaire ancestral. Cette vision de notre ennemi a laissé mon ami passablement troublé.

D’une certaine façon je me suis senti flatté par cet assaut. Mais c’est surtout la crainte qui m’habite depuis. Mon coté rationnel me dit que s’il avait pu me tuer directement il ne se serait pas embêté a envoyer un simple message. D’un autre coté savoir que ma mort peut venir de loin et n’importe quand… ça fait réfléchir. J’ai préparé depuis des lettres contenant mes dernières volontés. J’en ai toujours une sur moi et j’en ai laissé une autre dans mes affaires à la dame aux cheveux rouges.

Nous avons finalement localisé la demeure de Fibs, le fameux commanditaire supposé. L’endroit est en fait une petite place forte bien gardée. Situé au milieu de nulle part il ne présente aucun intérêt stratégique ou commercial. Je ne vois pas pourquoi les bandits auraient ramené leur butin ou leurs prisonniers ici. Trop compliqué de passer par l’arrière pays. Trop compliqué de passer devant Norek. Quelque chose ne collait pas.
Bien évidemment il nous a fallu des heures de discussion pour trouver un plan et comme de bien entendu tout est allé de travers.
Erik a décidé de dévaler la colline et de foncer à dos de sanglier géant sur les gardiens. Le nordique a été surpris de voir les portes s’ouvrir devant lui. Il s’est précipité droit dans un piège.
A défaut ça a servi de diversion pour Nel qui contournait l’édifice en volant. Sa nouvelle magie semble lui réussir, dommage tout de même qu’il se soit détourné des dieux. Nous leurs devons tant.
Avec Selendyl nous nous sommes approchés jugés sur notre chariot. Devant le feu ennemi j’ai du couvrir la zone d’une épaisse nappe de brouillard. J’ai retrouvé Erik sur la passerelle menant à l’entrée principale. En contrebas dans les douves une pieuvre géante était bien décidée de nous attraper. Comment une telle créature s’était-elle retrouvée en ses lieux ? Elle allait attaquer mes amis il fallait que je fasse quelque chose. Mais je craignais de courroucer Shaal en blessant une de ses créatures. J’ai déclamé son nom et exhorté le monstre a nous laisser tranquille. Ce qu’il fit !
J’ai échappé aux combats dans la forteresse. Tout se passait ailleurs. Selendyl, Nel et Dylane, plus mobiles que moi, ont occis quelques gardes. Finalement le maître des lieux est apparu. Il nous a demandé de partir et s’est barricadé chez lui en nous disant que nous faisions fausse route.
La situation était inextricable. Nous allions devoir donner l’assaut. Mais Selendyl qui était parvenu a entrer à l’intérieur à engagé des négociations avec notre ennemi. Ce dernier nous a proposé de rentrer pour discuter, sans nos armes bien sur. Erik et moi avons accepté tandis que Dylane et Nel restaient dehors, plus favorables a un assaut dans les règles.
Je suis donc rentré dans le manoir accompagné de mon ami nordique et sans aucun des témoins visuels de l’attaque des brigands !

L’intérieur du manoir était confortable et même plutôt riche. Tout dans les lieux et dans l’attitude de ses occupants cadrait parfaitement avec l’idée que je me fais de la retraite d’un criminel. Nous nous étions peut-être vraiment trompés.

Fibs m’a impressionné. Il se dégageait de lui une force tranquille et un magnétisme presque palpable. Il nous a installé à une table et nous a servit à boire. J’ai préfère refuser, on ne sait jamais.
Notre venu l’a profondément importuné. Importuné c’est le mot juste. Il n’était pas en colère, pas effrayé, pas triste pour ses hommes, juste dérangé dans sa nuit.
Il a donc commencé par nous demander réparations pour les troubles occasionnés. Il s’est mis d’accord pour une somme de mille pièces d’or avec Selendyl. C’est ce dernier qui a d’ailleurs payé la note. Une fois cette formalité réglée le vieil homme s’est montré plus détendu et plus bavard.
Il nous a affirmé ne jamais avoir quitté son repère au cours des dernières années. Il nous a signalé qu’on lui avait dérobé une arme à laquelle il tenait beaucoup et nous a même promis une forte récompense pour sa restitution. Avec honnêteté je ne sais pas si j’ai fait la déduction moi même ou si c’est Fibs qui m’a poussé dans cette voie mais j’ai émis l’hypothèse que le commanditaire d’Englick pouvait très bien s’être fait passer pour Fibs. Quelqu’un avait bien pris l’apparence d’un sergent de la milice pour nous duper. Prendre l’apparence d’un brigand célèbre pour organiser des activités criminelles est un réel avantage. Voila pourquoi les lieux et ses occupants ne cadraient pas avec ce que j’en attendais.

Je pensais avoir fait tout se voyage pour rien mais Fibs m’a donné d’autres informations. Selon lui le Rularon n’amplifierait aucunement la magie. Au contraire il agirait comme un puissant inhibiteur ! En suffisante quantité il serait même capable de bloquer l’orbe qui protège Norek.
Nusmoy serai derrière tout cela. Le retraité m’a certifié que c’était elle qui avait autorisé l’implantation des prêtres de Yarthraak en ville. Je me demandai comment une prêtresse d’Eissa pouvait avoir autorisé une telle chose, mais si elle travaille pour l’ennemi tout s’explique. Toujours selon Fibs elle n’est qu’un pion.

C’est la tête en ébullition que nous avons quitté le vieil homme. Je ne sais pas quels crimes il a pu commettre de son vivant et je préfère l’ignorer. S’il ne nous a pas menti il nous a été bien utile. Je suis soulagé d’avoir pu régler la situation pacifiquement… partiellement pacifiquement, cinq gardes ont morts tout de même. Puisse Eissa les traiter avec justesse.
Il me tardait de rentrer à Norek mais mes compagnons ont tenus à nous faire passer par le versant ouest des montagnes rallongeant ainsi notre voyage d’au moins une semaine.
Cela n’a pas été une perte complète de temps. Ils avaient entendu dire qu’un village avait été rasé. Sur place nous avons pu constater la véracité de cette rumeur. Personne n’en a réchappé. Hommes, femmes et enfants ont été méthodiquement rassemblés puis exécutés. De ce village un campement récent était visible. Nous n’avons pu y accéder, pour notre sécurité, aux dires de la légion de Blindwater. Nous avons tout de même pu apercevoir deux navires échoués. De quoi transporter une vingtaine d’hommes leurs montures et équipements. Il nous faut donc donner du crédit aux rumeurs. Des troupes de l’ouest se sont infiltrées. Elles ont éliminé tous les témoins pour que l’on ne sache pas par ou elles sont passées dans les montagnes. Je suppose en plus qu’elles y ont une base d’opération secrète. De mieux en mieux !

Une fois de retour à Norek nous avons fait des recherches. Il parait évident que nos ennemis vont bientôt frapper. Mais quand ? Aeryk le maître des prêtres de Yarthraak va arriver en ville. Il va y rester plusieurs mois. Voila qui ne va pas arranger nos affaires. La délégation royale elfe ne va pas tarder non plus. Je suis persuadé qu’ils sont le lien avec Lorgalys. Nel m’a confirmé qu’un paladin demi-elfe Inllotu Pha’al avait vaincu Lorgalys à Norek au cours de l’ère précédente. Je pense que nos elfes sont d’une manière ou d’une autre liés à cet événement. J’espère juste qu’ils seront avec nous et pas contre nous. Nous avons cruellement besoin d’alliés. Demain j’irai relater nos découvertes à Gutryn et Umar Winmoy. Seigneurs d’Orhan faites que ni l’un ni l’autre ne soit le pion de nos adversaires.